Daniela Santos, ou comment trouver son style de leadership
« Où vous voyez-vous dans 5 ans ? » : la question que personne n’aime s’entendre poser en entretien. Et pourtant Daniela Santos nous jure qu’elle est essentielle dans le développement d’une carrière. Définir une stratégie est indispensable et pas seulement sur 5 mais 10 ans, mais comment faire ? Celle qui a fait plus de 11 ans en finance et dans le secteur bancaire est désormais Directrice Adjointe de Planification, Comptabilité et Gestion à la BCI, l’une des banques les plus importantes du Mozambique. Elle nous explique, pas à pas, comment construire un plan de carrière. Mais pas seulement : elle nous confie ne jamais avoir compris ce que ça voulait dire, le ‘leadership masculin’, nous parle de la difficulté de passer d’une équipe de 10 à 100 personnes, et partage sa stratégie de management, alternant entre autoritarisme et esprit démocratique.
Mozambique
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Comment devenir un leader : le B.A.-BA
J’ai fait toute ma scolarité à l’école portugaise du Mozambique, puis je suis partie à l’étranger, en Grande-Bretagne, pour mes études supérieures. D’abord une licence en management international et en économie à l’Université de Lancaster, puis un Master en économie et développement à l’Université de Bath. Mes diplômes en poche, je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire : j’avais toutes les cartes en main pour débuter ma carrière, je ne savais juste pas par où commencer. Je savais que je voulais rentrer au Mozambique. J’ai donc passé six mois à chercher un emploi.
A 23 ans, j’ai été embauchée en tant qu’analyste financière par une société de promotion immobilière qui gérait également des actifs financiers. C’était une petite entreprise, mais le PDG avait beaucoup d’expérience : c’était un économiste de renommée, il avait été Ministre des Finances, avait fondé une banque, travaillé pour l’ONU… J’ai eu beaucoup de chance, parce qu’il est rapidement devenu un modèle à suivre pour moi : il m’a expliqué tout le métier, que ce soit au niveau technique ou plus interpersonnel (comment réagir à telle ou telle situation, comment travailler en équipe dans un environnement plutôt hostile…).
Ayant été formée par un homme sur toutes les questions de leadership, je me suis souvent posé la question du leadership féminin. Je trouve ça très intéressant de voir que les femmes, surtout dans les secteurs majoritairement masculins, soient critiquées avec véhémence lorsqu’elles se comportent de façon ‘masculine’. Je me suis toujours demandé ce que ça voulait dire, d’être ‘masculine’. Ces femmes commandaient avec les outils qu’elles pensent adéquats par rapport à la situation qu’elles confrontent : dire qu’elles sont moins féminines parce qu’elles sont plus directes, moins diplomates, c’est nuire à la cause des femmes elles-mêmes. Nous devrions être libres d’être les leaders que nous choisissons d’être, en fonction de notre travail et de notre personnalité.
La banque : une histoire de styles
Très rapidement, j’ai été nommée Directrice Financière de la société. Comme l’entreprise était de petite taille, j’ai rapidement eu envie de nouveaux horizons, d’aller expérimenter de nouvelles choses. J’ai donc décidé de chercher un nouvel emploi, plutôt en finance qu’en économie désormais. Je suis passée à la BCI (Banco Comercial e de Investimentos), une des banques les plus importantes du Mozambique. J’étais coordinatrice dans une unité d’analyse et de gestion : nous faisions des rapports sur le bilan actif-passif de la banque, sur la situation économique du pays… Je gérais une équipe de trois personnes. C’était un emploi moins senior que le précédent pour moi, mais ce n’était pas ce qui comptait : je voulais apprendre, m’immerger dans le monde de la finance, et surtout je voulais continuer à gérer une équipe. Encore une fois j’ai été chanceuse : mon responsable aimait partager ses connaissances. Pendant plus de huit ans, il m’a accompagnée au sein de la banque, m’a appris tout ce qu’il savait.
Au début, nous étions une équipe de quatre. Très vite nous avons commencé à faire beaucoup plus que nos prérogatives : notre unité a été convertie en département au bout de trois ans, avec une équipe de 10 personnes. Ça m’a pris beaucoup de temps pour former mon équipe, faire en sorte que nous soyons efficaces et autonomes. Puis j’ai été promue au poste de Directrice Adjointe de la division des Marchés Financiers . L’échelle a brutalement changé : ce n’était plus un département que je gérais, mais 50 (le département d’analyse, la salle des marchés, les unités de gestion de la trésorerie et de la caisse). Ce n’étaient plus 10 personnes sous ma supervision, mais 100.
La première année a été difficile, il a fallu s’ajuster en termes de style de leadership. Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est de mélanger les styles, selon la situation et l’équipe qu’il faut manager. Quand les équipes étaient difficiles, je devais adopter un mode plus autoritaire, pour établir les hiérarchies rapidement et éviter les esprits de velléité. Puis il a rapidement fallu passer à un mode de gestion plus démocratique, où l’équipe devient un vrai moteur de propositions. C’est vraiment la meilleure stratégie pour moi, d’alterner entre les deux sans jamais s’appesantir trop sur un style. Pour savoir quand changer, il m’a été très utile d’établir des plans sur le moyen-terme pour mon équipe : je mettais sur papier à quel niveau je souhaitais que nous soyons d’ici 2 ans, 3 ans : en termes de nouvelles compétences acquises, d’efficacité dans les tâches accomplies, de synchronicité entre les membres de l’équipe, de motivation…
« Où vous voyez-vous dans 5 ans ? »
Et cette stratégie tient aussi au niveau individuel. Une question que j’ai toujours détesté avoir en entretiens, c’est : « où vous voyez-vous dans 5 ans ? ». Et pourtant il est essentiel de savoir répondre à cette question, et d’avoir un plan sur 10 ans. Il n’a pas besoin d’être très précis : il peut s’agir de savoir quel type de leader on veut devenir, combien de personnes on veut gérer, quelles compétences on veut consolider… Quand j’ai débuté ma vie professionnelle, je n’avais pas de but précis en tête : je savais juste que je voulais apprendre tout ce qu’il y avait à apprendre. C’était ça mon plan. Un an plus tard, quand j’étais un peu plus au clair sur mes envies, mes motivations, j’ai modifié mon plan : je me suis posée pour décider de ce que je voulais accomplir sur les 10 prochaines années : ce que je voulais apprendre, sur quel espace-temps… Puis j’ai établi des étapes-clés avec des échéances plus courtes, sur un an ou deux. Dix ans plus tard, je peux dire que j’ai réussi mon plan sur 10 ans.
Maintenant reste le plus difficile : concevoir un nouveau plan, sur cinq ans plutôt. Arrivée en haut de l’échelle, il faut refaire le point, se demander ce qu’on veut vraiment maintenant. Et là, il faut commencer à intégrer ses aspirations personnelles à son plan professionnel. Le problème n’est pas seulement de les faire cohabiter, mais de décider de la proportion qu’on est prête à accorder à chaque partie : après avoir fait tant de sacrifices pour sa carrière, l’idée qu’il faut la délaisser un peu est très difficile à accepter. Sur le principe, oui il faudrait avoir des horaires moins insensés, oui il faudrait travailler dans un environnement moins tendu. Mais si justement on s’épanouit dans ce type d’environnement, qu’on adore son boulot ? On ne veut abandonner ni son emploi ni sa vie privée : comment faire ? Je n’ai toujours pas la réponse.
J’ai changé de division l’année dernière : je suis désormais Directrice Adjointe du Département de planification, comptabilité et contrôle de gestion. Je supervise le budget de la banque, sa stratégie, sa comptabilité et son contrôle de gestion, comme le nom l’indique. Les prochaines étapes ? ça dépend de l’échéance : je dois d’abord mettre en place le plan que j’ai imaginé pour ma nouvelle équipe. Puis je veux apprendre, travailler dans de nouveaux contextes et de nouvelles cultures.