Evelyne Tall-Daouda, l’éthique comme clé de réussite

Evelyne Tall-Daouda… L’une des banquières les plus influentes du continent africain, une pionnière aussi. À la force de son éthique, de sa résilience, de son esprit stratège et de son discernement, Evelyne Tall-Daouda est la première femme à s’être hissée à la direction générale du groupe panafricain Ecobank. Evelyne Tall-Daouda nous conte le parcours d’une grande timide bravant doutes et solitude pour gravir des montagnes. Un puits de conseils.

Sénégal

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Je suis la première fille d’une fratrie de 11. Chez nous, la première fille joue un rôle important et j’ai toujours été habituée à avoir des responsabilités. Parmi mes frères et sœurs, je suis la seule à ne jamais être allée au jardin d’enfants. Pour combler ce manque, j’ai développé une grande curiosité. Mon père a toujours été convaincu que je ferais de grandes choses : « Evelyne, tu travailleras à New York ». Cette enfance fut fondatrice de mon parcours.

Des lettres à directrice générale adjointe d’Ecobank

J’ai étudié les lettres et j’ai obtenu une licence d’anglais. Bonne élève, j’obtiens une bourse d’excellence pour partir étudier à Paris. Malheureusement, l’école d’interprétariat dans laquelle je devais continuer n’est plus capable de m’accueillir suite à des lenteurs administratives du Sénégal et c’est donc totalement par hasard que je termine à l’école des attachés de direction, une école de management à Paris. Ce changement de filière a été très difficile pour moi mais je suis besogneuse. Plutôt que de profiter de la vie parisienne, je me concentre sur mes études. À l’issue de mes études, le choix se pose de reprendre l’école d’interprétariat mais je décide de rentrer au Sénégal et de commencer à travailler.

J’effectue d’abord un stage à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), à Dakar, avant de rejoindre la banque américaine Citibank Dakar où je reste pendant dix-huit ans. J’y fais mon petit bout de chemin, en changeant plusieurs fois de départements. La Citibank a surtout été une formidable école de formation pour moi.

Les frontières ne signifient pas grand-chose pour moi. Ainsi, lorsque l’on me propose de rejoindre Ecobank en tant que directrice adjointe de la filiale malienne, je n’hésite pas une seule seconde. Je perçois aussi l’intégration de cette banque panafricaine comme un moyen d’avoir un impact plus important pour les pays africains. Au Mali, il faut tout créer de A à Z : étudier le marché, définir le business plan, recruter et former les équipes, etc. Après moins d’un an, je suis nommée directrice générale de la filiale.

Suite à cette expérience, on me demande de revenir au Sénégal où la filiale locale de Ecobank  peine à se lancer. Ce n’était pas du tout dans mes plans de rentrer au Sénégal et gérer une situation de crise mais j’accepte. Je suis chargée de redresser la banque dans une situation difficile, mission à laquelle je m’attelle pendant cinq ans. En 2000, je suis promue directrice de la zone de l’UEMOA, avec huit pays sous ma tutelle. Puis tout s’enchaîne : on me confie la gestion des filiales du groupe sur le continent, notamment en Afrique sub-saharienne, à l’exception de la République Sud-Africaine. Consécration, j’obtiens ensuite le poste de directrice générale adjointe.

Stratège et ambitieuse

Je suis ambitieuse si cela veut dire atteindre le plus haut niveau dans l’entreprise ; et très tôt, je me fixe l’objectif d’atteindre les plus hauts postes. Couplé à cette ambition, je forge mon discernement et un haut sens de l’éthique. J’observe mes supérieurs, j’analyse leurs erreurs et leurs réussites. Je me projette à leur place.

Je n’ai pas un plan de carrière très précis mais je suis stratégique dans le choix de mes postes. Pour grimper les échelons, je n’hésite pas à changer de département. Je n’ai pas peur de sortir de ma zone de confort et d’apprendre sur le tas, de prendre des risques.

Je me repose sur le système d’évaluation de la banque pour fixer mes objectifs, surveiller ma progression et m’assurer que je maîtrise le poste. Ensuite, je cherche toujours à donner davantage de contenu à mon poste en élargissant mon spectre de compétences et mon champ d’actions. À titre d’exemple, lorsque j’étais au département dédié à la préparation des crédits, non seulement je mets en forme le bilan des clients mais je n’hésite pas à  faire des commentaires annexes et à aller à leur rencontre en compagnie des gestionnaires de compte. Ainsi, lorsque j’arrive au poste de gestionnaire de comptes, je suis déjà formée à ce type de poste.

Autre point important dans mon évolution : je n’hésite pas à former la relève. Pour chacun de mes postes, je cherche à créer mon double. Il ne faut pas avoir peur de transmettre ses compétences : si l’on souhaite évoluer dans la hiérarchie, il faudra bien trouver un remplaçant(e). Et puis, il n’y a pas que le résultat personnel qui compte. Il faut aussi avoir de l’impact sur ses collaborateurs pour devenir marquante.

Une valeur qui chapeaute l’ensemble de mes prises de décision est l’éthique. Pour réussir, je suis convaincue qu’il faut toujours faire preuve d’éthique. C’est un point sur lequel aucun compromis n’est possible. Personnellement, je n’envisage pas la réussite autrement et je ne voudrais jamais qu’on puisse venir me reprocher quoique soit de l’ordre de ma morale et de ma probité.

Évidemment, lorsqu’on regarde mon parcours, il paraît plutôt logique : plus de 30 ans dans le secteur bancaire au sein de deux grands groupes. Si l’on doit réfléchir à une stratégie de carrière, je pense qu’il est important de passer par le monde de l’entreprise : c’est là que l’on apprend à être structuré, à développer une expertise et à acquérir des automatismes. Mais attention, je ne recommande pas une expérience aussi longue que la mienne ! Je pense que l’on gagne à varier ses expériences pour s’adapter à un monde qui change. J’encourage donc la diversité d’expériences, l’essentiel étant de ne pas s’y perdre et de garder un fil conducteur. N’hésitez pas à changer de secteurs, de types et de cultures d’entreprises, de géographies. Moi-même au sein d’une même entreprise, j’ai toujours cherché à changer de département et de géographie et je pense que c’est ce qui a participé à créer ma plus-value.

Être une femme au plus haut niveau

Dans le secteur bancaire, le système étant très normé et hiérarchique, l’évolution se fait en fonction des compétences. J’ai eu la chance de ne jamais me heurter à un plafond de verre. Cependant, ce qui me pèse dans ce monde d’hommes, c’est la solitude d’une femme qui exerce le pouvoir. À mesure que j’avance dans la hiérarchie, je n’ai que très peu de  références féminines et à l’époque, aucune dans le domaine financier. Lors des moments difficiles, cette solitude est pesante. On se retrouve donc très souvent seule face à nos problèmes.

Comme beaucoup de femmes, je ne sais pas réseauter. Les hommes sont formatés à réseauter, pas les femmes. Cela me dessert parfois car il est nécessaire de faire de la « politique » au sein d’un conseil d’administration. La preuve peut-être, je n’ai jamais atteint le poste ultime de directrice générale. Je pense sincèrement que les femmes gagneraient à travailler leur réseau.

Ce que je n’avais pas calculé dans l’évolution de ma carrière, c’est qu’elle serait retardée par deux enfants. Mes grossesses m’ont coûté quelques petites années. Il m’était difficile de En effet, du fait de mes grossesses, j’ai pris du retard à gravir l’échelon supérieur en début de carrière. Je n’ai pas eu beaucoup de solidarité de femmes à l’époque.

Effectivement, il y aura toujours ce souci de double performance : on veut être la meilleure mère et la meilleure directrice. Ce n’est pas évident de jongler avec différents rôles mais j’ai toujours tenu à honorer chacun de mes rôles. Cela nécessite une grande organisation. À la maison, j’étais exclusivement maman. Je n’ai jamais travaillé à la maison, sauf très tôt le matin lorsque mes filles n’étaient pas réveillées. Elles n’ont jamais vu la femme qui travaillait, ce n’est que bien plus tard qu’elles ont compris les responsabilités que j’avais. Même chose avec mon époux, j’étais épouse avant d’être directrice. J’ai toujours cloisonné. Au travail, c’était le travail. Même si certains numéros comptent comme des urgences, j’ai toujours réussi à faire la distinction. Malgré tout, il est difficile de se défaire de sa culpabilité. Je me suis toujours dit que je privilégiais la qualité du temps passé avec mes filles plutôt que la quantité. Mais deux petites filles distinguaient-elles la qualité à la quantité ? Il restera que ce sacrifice a été consenti par deux petites filles, voire par un cercle familial plus élargi. C’est quelque chose qui me pèsera toujours mais j’aime à croire que je n’aurais pas pu faire mieux.

Être femme m’a cependant été bénéfique à d’autres égards. Je me suis forgée des valeurs que j’ai pérennisé tout au long de ma carrière. Peu de choses sont épargnées aux femmes, il faut donc viser l’excellence en toutes circonstances. Même chose pour l’éthique : certaines choses qui feraient sourire chez un homme ne seraient pas pardonnées à une femme. Et enfin, la résilience : on ne peut jamais cesser de croire en soi, personne ne le fera pour nous.

Peut-être existe-t-il un leadership féminin ? Je pense qu’hommes et femmes sont différents et complémentaires. En tant que femmes, nous avons l’habitude de jouer des rôles variés et de fait, nous disposons d’une manière spécifique de prendre des décisions. Personnellement, mes décisions ont souvent été précédées d’intuition avant d’entamer une réflexion très poussée. Je suis très prudente dans mes choix et je cherche toujours à minimiser le risque d’injustice. J’ai toujours eu un regard très attentif sur mes équipes, je voulais fédérer. Et enfin, j’aime être très transparente, que les choses soient dites clairement.

L’envie de transmettre

Aujourd’hui, j’ai 61 ans et j’ai toujours autant d’énergie que lorsque j’en avais 30. J’ai fondé E. & Partners, une société de conseil en stratégie qui s’adresse à des multinationales souhaitant investir en Afrique et à des entreprises africaines souhaitant développer leurs opérations ou entamer une expansion géographique.

Au quotidien, je ne me suis pas rendue compte de l’intérêt que ma carrière a suscité dans mon pays et au niveau continental. Je ne me suis jamais rendue compte que j’avais la responsabilité d’un si grand bilan (environ 20 milliards de dollars à la fin de ma carrière). Je vivais au fil des urgences et des voyages. Je crois que j’ai fini par réaliser mon impact une fois sortie de la banque. Surtout quand je voyais que trois générations après la mienne continuaient de suivre ce que j’avais fait et dit.

Avec le recul dont je dispose aujourd’hui, j’ai vraiment à cœur de transmettre et partager mon expérience. Je songe à le faire au travers d’un livre, une façon de rendre hommage à mon père écrivain et de faire revivre ma passion pour la littérature. J’aimerais également mettre en place un réseau de mentorat pour les femmes. Mon parcours ne s’est pas fait sans doute, sans pleurs, sans peurs et inquiétudes et j’aurais vraiment aimé qu’on puisse répondre à mes questionnements.

Voici les conseils que je vous donnerais. Ne laissez personne dicter votre histoire à votre place. Ne soyez pas mal à l’aise avec l’ambition. Si celle-ci est portée par des valeurs, elle ne sera jamais malsaine. Ne craignez pas d’être là où les décisions sont prises, que ce soit dans le secteur privé ou public. Quelque-soit le secteur où le niveau auquel vous exercez, cherchez à avoir de l’impact. Guidez vos choix par l’éthique et un sens de l’équité. Entourez-vous de mentors. Ne vous limitez pas. Une carrière ne vous empêchera pas d’avoir une famille, d’être une bonne mère, une bonne épouse, une bonne amie et une bonne citoyenne.

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