Nigest Haile, la patronne des exportatrices
« Je ne partirai jamais à la retraite ». C’est ainsi que Nigest Haile nous accueille dans ses bureaux à Addis Abeba. Et en effet, Nigest enchaîne depuis sa jeunesse les postes à responsabilité, et a soif de contribuer au développement économique des femmes de son pays par tous les moyens possibles. D’abord au gouvernement, avec 23 ans au Ministère de l’Industrie et du Commerce et à la direction du Département dédié aux Femmes. Puis en ONG, avec la fondation de CAWEE (Center for Accelerated Women’s Economic Development), organisation qui soutient les femmes exportatrices du pays. Et dans le secteur financier finalement, avec la création d’ENAT bank, la seule banque au monde à être majoritairement opérée et dirigée par des femmes. Un investissement colossal, qu’elle estime toujours insuffisant et qui la pousse à développer toujours plus d’actions pour sa cause.
Ethiopie
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Des débuts de vie prometteurs
Sa vie a commencé sous de bons hospices. Son père, soucieux de l’éducation de ses cinq enfants, a beaucoup investi dans leur formation à Addis Abeba : il les a envoyés à l’école privée et leur a pris un tuteur anglais. Nigest, une élève exceptionnelle, a donc pu obtenir un très bon GPA en sciences sociales à l’Université d’Addis Abeba. A sa diplomation, on lui propose de rentrer au gouvernement, au Ministère de l’Industrie et du Commerce. C’est là que débute sa carrière dans le secteur public : d’abord experte des sujets de genre, elle monte doucement en grade jusqu’à devenir directrice du département dédié à la femme. Son rôle : conseiller le gouvernement sur les législations à implémenter, les actions à mener pour créer un environnement propice au développement économique des femmes éthiopiennes. Elle travaille notamment sur les mécanismes de microfinance dédiés aux femmes. Le gouvernement aura massivement investi dans sa formation : avec plus de 20 certificats et diplômes financés par ses employeurs (notamment un post-graduate aux Pays-Bas), Nigest devient rapidement une référence dans le domaine. Et de cela, elle estime avoir un devoir de reconnaissance, d’avoir une dette envers l’Etat qu’elle tente depuis de repayer par ses engagements.
Pallier les manques de l’Etat avec CAWEE
Cependant, après 23 ans à travailler pour le gouvernement, elle décide de quitter son poste de directrice de département pour tenter de contribuer autrement à la cause féminine. En effet, elle souhaite pallier un manque qu’elle avait noté dans son travail précédent : il n’y a pas d’institution s’intéressant au sort des femmes responsables de PME, notamment en export. Et c’est ainsi qu’elle établit CAWEE (Centre pour l’Accélération de l’Autonomisation Economique des Femmes) en 2004. L’organisation décolle quasi-immédiatement, notamment grâce au réseau colossal que s’est formé Nigest durant ses années au gouvernement : nombre d’entreprises locales et de donateurs étrangers étaient ses interlocuteurs quotidien au Ministère et l’ont soutenue dans son nouveau projet. Désormais forte de 50 membres, cette organisation soutient les femmes qui exportent dans 5 secteurs particuliers : l’agro-alimentaire, le textile, la bijouterie, les services et l’hospitalité. Elle leur permet d’avoir accès à des informations difficiles à obtenir : où se situe le marché, comment exporter ; elle les forme et les fait participer à des missions d’export, des expositions internationales… L’objectif et la vision à long-terme de CAWEE est de créer des chaînes de valeur soutenables dédiées aux femmes : les femmes exportatrices peuvent désormais trouver des fournisseuses qualifiées, et employer des femmes formées. L’organisation a notamment développé avec l’association Safe House, qui accueille des femmes victimes d’abus sexuels, un cercle vertueux : les femmes des centres de Safe House, à leur sortie, sont formées, et les membres de CAWEE s’engagent à les employer dans leurs business respectifs.
ENAT, la première banque de femmes au monde
Et Nigest ne s’arrête pas à CAWEE. Elle se questionne sur les moyens de financement qui se présentent aux femmes en Ethiopie, et se désole du manque criant de solutions adaptées. Elle décide d’agir, et avec 10 autres femmes du monde économique et associatif, se lance dans la création de la première banque commerciale entièrement dirigée et opérée par des femmes, une première au niveau mondial. ENAT Bank naît alors, après 4 ans de travail acharné. Enat signifie ‘mère’ en amharique, et c’est un symbole fort pour la société éthiopienne qui s’empresse d’acheter des parts à sa mère, sa sœur, sa fille. Aujourd’hui 66% des parts d’Enat sont détenues par des femmes, et le board comprend 7 femmes sur 11 sièges, du jamais vu dans le secteur financier au niveau mondial. La banque offre des services à tout le monde, et propose des provisions spécifiques pour les femmes avec un Département dédié aux femmes en Finance, et un fonds pour servir les femmes sans collatéraux. Cette initiative a depuis créé un effet domino : les autres banques du pays suivent et mettent peu à peu en place des mesures favorables aux femmes. La Commercial Bank of Ethiopia a notamment créé un département entièrement opéré par des femmes.
De l’importance du réseau et du mentoring
Gouvernement, ONG, secteur financier : Nigest aura touché à tous types d’institutions et aura tenté dans chacune d’entre elles d’œuvrer pour le développement économique des femmes en Ethiopie. Et le savoir et l’expérience qu’elle aura accumulés en plus de 40 ans de carrière, elle tient à les faire passer à la nouvelle génération. Que ce soit à travers sa participation à des réseaux, à travers du coaching, du mentorat, il lui semble d’une importance capitale de pousser les jeunes filles à participer au développement de leur pays. Et elle nous pose à tous et à toutes la même question : qu’est-ce que vous rendez à votre pays ? Une leçon d’engagement admirable.