Sewit Haile Selassie Tadesse, la curiosité comme boussole

Rendez-vous avec Sewit Haile Selassie Tadesse, présidente pour l’année 2019 du réseau AWiB (Association for Women in Boldness), pour discuter parcours et réseau. En effet, l’Ethiopie, comme beaucoup de pays en Afrique, regorge d’associations et réseaux visant à tisser des liens entre les femmes du pays et combler le vide laissé par le manque d’accès au réseautage informel des restaurants et bars fréquentés par les hommes. Le réseau AWiB se décrit donc comme une plateforme locale pour développer des femmes leaders responsables.

Ethiopie

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AWiB, le réseau pour sortir les femmes de leur isolement

Comment ? En répondant aux problématiques particulières qu’affrontent les femmes actives éthiopiennes. La première d’entre elles : l’accès à l’information. Il est différent selon que l’on est une femme ou un homme, différent également selon la classe sociale de laquelle on vient. Il est essentiel d’y pallier en créant des espaces de discussions, que ce soit au travers de sessions de networking, de conférences sur des thématiques spécifiques, ou par des systèmes de mentorat et de sponsoring entre femmes du réseau. Une autre problématique à laquelle répond le réseau est le manque de reconnaissance des femmes et de leurs accomplissements. Pour cela, des récompenses annuelles, les Women of Excellence Awards, célèbrent des femmes du réseau ; le site internet d’AWiB a créé une base de données extensive de biographies de femmes éthiopiennes dans tous types de secteurs. Et finalement, il s’agit d’enseigner aux femmes du réseau des compétences informelles (soft skills) à travers des ateliers de prise de parole, de gestion du temps, de confiance en soi, etc.

Economie et genre : une combinaison gagnante

Et comment Sewit en est-elle arrivée à présider l’association ? Ses études ont été pour le moins atypiques. Titulaire d’un premier diplôme en Economie, elle a enchaîné avec un diplôme dans l’étude des genres. Ce grand écart a une explication plutôt logique : la réalité positiviste enseignée en économie ne coïncidait pas avec sa propre expérience d’agent économique. En effet, son identité se compose de caractéristiques qui s’intersectent et la rendent vulnérable : femme, jeune, africaine, d’un pays pauvre. Pour mieux compléter sa compréhension de son environnement, elle a donc décidé d’étudier le genre.

C’est un trait de caractère qui la suit dans tous ses choix de vie et de carrière : Sewit se tourne vers ce qu’elle ne comprend pas. Sa soif d’apprendre l’immerge tour à tour dans des sujets très spécifiques. Il ne s’agit pas pour elle de se créer une expertise, mais bien de développer une attitude d’apprentissage continu. Sa seule ligne directrice : aller là où la curiosité l’emmène. Elle ne veut pas être une experte, elle veut être instigatrice de changement.

L’accès au financement des entrepreneures éthiopiennes

Même si elle ne l’admet qu’à contre-cœur, il n’empêche que Sewit est experte du genre en Ethiopie. Et lorsqu’on lui demande de dresser un état des lieux de la situation économique de la femme éthiopienne, elle mentionne très rapidement la problématique bien connue du missing middle, qui concerne la difficulté qu’ont les dirigeantes de PME à accéder à des financements. Les banques visent des entreprises plus larges et refusent de prêter sous prétexte que sans collatéraux, les risques sont trop grands. Parallèlement, les institutions de microfinance n’ont pas les capacités pour financer des prêts plus conséquents.

Il en résulte que l’entreprenariat féminin manque de fonds. D’autant plus que des innovations voient le jour, mais ont un taux de pénétration faible. C’est dû notamment au manque de préparation des banques à certains types de business models portés par des femmes, qu’ils ne comprennent pas. Une anecdote qui n’en est finalement pas une : l’injera (crêpe traditionnelle utilisée dans la plupart des plats éthiopiens) traverse une phase d’industrialisation semblable à celle connue par le pain en France. Il sort des foyers pour devenir un bien de consommation à part entière. Seulement, c’est encore tabou en Ethiopie où la femme a comme rôle de préparer l’injera chez elle. Des nouveaux business models tentent de créer ce nouveau marché qui connaît une forte demande de la part des femmes : des Baltena shops, supermarchés de nourriture traditionnelle, cherchent à se faire financer, mais ces business models sont peu familiers aux investisseurs masculins qui ne comprennent pas forcément le besoin. Bref, beaucoup reste encore à faire pour développer l’énorme potentiel que représente l’entreprenariat féminin. Et Sewit compte bien faire partie de ceux qui l’aident à émerger.

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