Thabi Leoka, économiste et guerrière

Thabi Leoka est l’une des économistes les plus respectées d’Afrique du Sud. Née à Soweto, son ambition était de devenir la première femme présidente de son pays. Elle s’est finalement dirigée vers la banque, où argent et pouvoir sont légion. Elle fait ses classes chez Barclays à Londres puis à la Standard Bank à Johannesburg, où elle compare ses journées à des matchs de rugby où elle affronte les traders avec agressivité et fermeté. Désormais à la Société Publique d’Investissement (le plus grand gestionnaire de fonds du pays, avec plus de 3 trilliards de rands sous gestion), elle travaille au sein de la Commission d’enquête sur les cas de corruption, de mauvaise gestion et de manque de transparence au sein de l’Institution. Une femme de poigne qui n’a pas peur de montrer les crocs.

Afrique du Sud

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Des rêves ambitieux : de présidente de la république à avocate à économiste

J’ai grandi à Soweto, Johannesburg. Petite, je voulais devenir la première femme présidente du pays, mais aussi avocate. J’ai donc fait du droit à l’Université, mais ça m’a rapidement ennuyée. C’était trop technique et je ne voyais pas de liens concrets avec ce qui me plaisait vraiment : plaider des cas en justice. Je me suis donc tournée vers l’économie en deuxième majeure, et ça a tout de suite pris, j’avais l’impression de faire enfin sens du monde qui m’entourait. J’ai continué mon Master à la Witz University, puis à la London School of Economics pour y finir mon PhD.

Une fois mon bagage académique bien rodé, j’ai choisi de travailler en banque. Pour une raison très simple : je voyais tous ces hommes banquiers devenir très riches et toucher à des sujets qui me semblaient passionnant (l’argent, la politique, l’économie), et je voulais leur ressembler. J’ai commencé par travailler pendant 5 ans au sein de la banque Barclays, à Londres, où je couvrais 11 pays émergents. On m’a ensuite proposé de rejoindre l’équipe de recherche de la Standard Bank en Afrique du Sud. Je me retrouvai donc dans mon pays d’origine après 10 ans à l’étranger.

Dans ce milieu masculin, il a très rapidement fallu que je m’endurcisse. Les traders avaient tendance à se défouler sur l’équipe de recherche, car les pronostics que nous faisions avaient un impact direct sur leurs performances. J’ai donc appris à rester très ferme sur mes points de vue, à les justifier par mes connaissances techniques. C’était un peu comme un terrain de rugby, où les traders se ruaient sur moi, et mes seules options étaient de m’enfuir ou de camper mes positions. Prendre des airs agressifs, arborer une confiance en soi à toute épreuve est devenu indispensable, surtout quand au premier abord j’avais l’air plutôt gentille.

Maintenant je travaille en indépendante, parce que je préfère me sentir en contrôle, sentir que j’ai un véritable impact sur l’économie et la politique de mon pays. En tant qu’économiste, j’étais un peu éloignée du système décisionnel, or c’était ce qui m’intéressait le plus. Je me suis donc mise à mon compte et j’ai rapidement eu des gros clients.

La Société Publique d’Investissement : des enjeux colossaux

J’ai ensuite été contactée par le Président et le Gouverneur de la Réserve Fédérale qui m’ont proposé d’intégrer la Société Publique d’Investissement. Elle gère plus de 3 trilliards de rands d’actifs, notamment le fonds de pension des employés gouvernementaux. Je travaille en ce moment au sein de la Commission d’enquête chargée d’enquêter sur les cas de corruption au sein de l’Institut et accompagner les juges dans leurs rédactions de rapports. C’est un travail passionnant et éreintant, où les feux des projecteurs sont constamment braqués sur nos actions. On n’a pas le droit à l’erreur.

Pour la suite, j’aimerais retourner en finance d’entreprise, notamment en infrastructures. Je suis persuadée que c’est le futur de l’Afrique et de sa croissance. Un accord pour une zone de libre-échange sur le continent africain est en cours de signature, et le corollaire de ce traité, c’est que de nouvelles infrastructures sont indispensables pour le mener à bien (transport ferroviaire, routier ou aérien). C’est là que je veux être.

Un monde d’hommes

Il n’y a pas suffisamment de femmes économistes dans le milieu, parce qu’il est difficile pour nous de percer. La tendance reste aux hommes blancs âgés : la seule opportunité quand on est une femme est donc lorsque l’un d’eux décide de partir à la retraite. De mon côté, j’ai pu progresser rapidement en déterminant ma propre exposition au milieu : je participais à beaucoup de tables rondes, de conférences, je donnais mon avis et posais beaucoup de questions. Les gens pouvaient mettre un nom sur mon visage et me contactaient quand ils pensaient à un projet qui pourrait m’intéresser.

Mais s’il y a un conseil que je pouvais donner à de jeunes femmes, c’est de les pousser à choisir des carrières financièrement viables, vers lesquelles on ne nous dirige pas instinctivement. Être une économiste, c’est juste mon métier, pas ma vie. J’insiste : mon travail me permet de profiter des bonnes choses, d’apprécier la gastronomie, les voyages… Mon boulot, autant que je l’apprécie, est ici pour financer mon train de vie.

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