Lara Salous, tisserande de laine et de mémoire

 Rencontrez Lara Salous – une designer palestinienne qui tisse bien plus que de la laine. Lara tisse des histoires, des identités et des ponts entre générations. Née à Jérusalem et ayant grandi à Ramallah, le parcours de Lara a commencé par les arts visuels, avant d’évoluer vers l’architecture et le design d’intérieur, pour finalement trouver sa voix dans le tissage de la laine. À travers son travail, elle ravive des savoir-faire ancestraux, valorise les artisans locaux et crée des pièces contemporaines qui racontent des histoires de résilience, d’identité et de fierté culturelle. Lara tisse un fil entre le passé, le présent et l’avenir.

De l’architecture au design

Je suis née à Jérusalem et j’ai grandi à Ramallah. J’ai toujours su que je voulais évoluer dans un domaine créatif, mais je ne savais pas exactement lequel au début. J’ai entamé mon parcours en me concentrant sur les arts visuels, ce qui m’a ensuite menée à étudier l’architecture à l’Université de Birzeit. J’ai poursuivi mes études avec un master en design d’intérieur à l’Université de Westminster, suivi d’un autre master à Londres.

Au fil des années, j’ai eu plusieurs expériences professionnelles, accumulant de l’expérience en architecture, design d’intérieur et restauration. J’ai notamment travaillé chez Lema, une entreprise italienne de mobilier à Londres, ce qui a enrichi ma compréhension du design et de l’artisanat.

Bien qu’enrichissant, quelque chose me manquait. Je me posais sans cesse la même question : Comment puis-je connecter mon travail à la Palestine ? Comment mes créations peuvent-elles participer à la préservation de notre culture tout en nourrissant ma pratique artistique ?

Entre héritage et design moderne

Cette quête de sens m’a rapprochée de l’artisanat palestinien. J’ai été particulièrement fascinée par la laine – un matériau aux racines très anciennes dans notre tradition. Le déclic est survenu lorsque j’ai commencé à me pencher sur l’histoire de la chaise en paille, un meuble emblématique de notre patrimoine, souvent relégué à des espaces traditionnels ou de cafés.

En approfondissant mes recherches, j’ai commencé à expérimenter la laine produite localement. J’ai vite compris que ce matériel résonnait profondément en moi – pas seulement pour son aspect technique mais aussi pour son cheminement jusqu’à mon studio de design. J’ai visité des communautés bédouines et rencontré des femmes qui pratiquent encore l’art ancestral du tissage de la laine. Les voir filer la laine brute était presque hypnotique. C’était sacré, comme si j’assistais à quelque chose d’essentiel, de vital, mais qui risquait de disparaître sous les effets de l’industrialisation et de l’occupation.

C’est à ce moment-là que j’ai su que je voulais redonner vie au tissage de la laine – non seulement pour préserver une tradition, mais aussi pour la réinventer. Je souhaite créer des pièces contemporaines qui honorent notre patrimoine tout en séduisant un public local et international. Des créations qui ne se contentent pas de refléter le passé, mais qui l’ancrent dans le présent.

Designer en Palestine : un chemin semé d’embûches

Être designer en Palestine comporte de nombreux défis. Le plus évident est sans doute le manque de soutien institutionnel. Il n’existe ni syndicat ni association professionnelle pour les designers, ce qui rend la protection de nos droits, notamment en matière de propriété intellectuelle, très difficile. Les occasions de collaboration et de mise en réseau sont également rares, alors qu’elles sont essentielles pour évoluer dans tout domaine créatif.

L’approvisionnement en matériaux représente un autre obstacle majeur. La laine, le bois, et d'autres matières premières sont difficiles à trouver ou extrêmement coûteuses à cause des frais logistiques élevés et des restrictions dues à l’occupation. Les routes sont souvent bloquées par des checkpoints militaires, rendant l’accès aux artisans et aux matériaux compliqué. À cela s’ajoute la concurrence féroce des meubles importés et produits en masse, qui rend la survie de l’artisanat local encore plus difficile.

Être une femme dans ce secteur ajoute une complexité supplémentaire. Beaucoup d’artisans locaux m’ont au départ prise à la légère. Qu’est-ce qu’elle essaie donc de faire ? Il m’a fallu du temps, de la patience et beaucoup de persévérance pour gagner leur confiance. Mais avec le temps, j’ai pu démontrer que ma vision était non seulement légitime – mais précieuse.

Un fil entre les communautés et générations

Malgré tous ces défis, je reste profondément attachée à mon travail, et déterminée à créer un espace où l’artisanat palestinien peut s’épanouir. Mon rêve est de développer un modèle durable du design palestinien – un modèle qui soutienne les artisans locaux, qui fasse revivre les pratiques traditionnelles tout en intégrant l’innovation et l’esthétique contemporaine.

Le potentiel du design palestinien est immense, encore largement inexploité. À travers mes créations, j’espère tisser des ponts – entre générations, entre communautés, entre tradition et modernité.

Chaque pièce que je conçois est bien plus qu’un simple meuble ou objet de décoration. C’est un fil qui relie le passé à l’avenir. Un symbole de résistance, de résilience, et une douce promesse d’un avenir meilleur.

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