Linet Kwamboka Nyang’au, la libératrices des données

Où étiez-vous à 22 ans ? La réponse de Linet Kwamboka Nyang’au force le respect. Embauchée par la Banque Mondiale à 22 ans, puis par le gouvernement à 23 ans, elle a travaillé à l’Initiative kényane pour l’Open Data, avec un budget de 7 millions de dollars et toute une stratégie pour inciter le gouvernement à plus de transparence concernant ses données. Désormais CEO de sa propre entreprise, DataScience Limited, elle entreprend des projets avec une curiosité toujours renouvelée et laisse son travail parler de lui-même.

Kenya

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Tomber par hasard sur sa vocation

Petite dernière d’une fratrie de 8 enfants, Linet a grandi à la campagne, dans la région de Nyamira. Elle a d’abord fait ses classes à l’Université de Nairobi, en science informatique. Pourquoi cette spécialisation ? L’informatique n’a jamais été une vocation : Linet rêvait de devenir avocate, à l’image de son idole Condoleezza Rice. Ses seules envies et exigences pour le futur : pouvoir voyager à travers le monde, rencontrer des personnes intéressantes et avoir une influence sur les politiques des gouvernements. Elle tombe donc par hasard dans le milieu de l’ingénierie informatique, pour satisfaire son père, après avoir répondu à une annonce dans un journal proposant de s’inscrire à l’Université.

Ces études vont finalement bien lui réussir, puisqu’elle est rapidement contactée par la Banque Mondiale qui lui offre un poste, à 22 ans à peine. Elle est appelée à travailler sur l’Initiative kényane pour l’Open Data. Cette initiative, comme son nom l’indique, vise à encourager les institutions gouvernementales à rendre leurs données plus transparentes pour le public. En effet, une grande partie des données gouvernementales n’est pas disponible, ce qui pose la question même de leur utilisation par le gouvernement pour prendre des décisions. Et une question parallèle, comment les entreprises implantées au Kenya prennent-elles des décisions sans avoir accès à des informations essentielles ?

Une mission : libérer les données gouvernementales

Pour mener à bien sa mission, Linet s’est donc intéressée aux raisons du manque de transparence des institutions vis-à-vis de leurs données. L’erreur avait été au début de taper des poings sur la table et d’exiger que le gouvernement mette à disposition des contribuables l’information qui leur est due. Cette tactique agressive ne fonctionnait pas. Il a donc fallu établir un dialogue avec les membres du gouvernement ayant accès à ces données, et leur expliquer l’intérêt de les rendre accessibles. Linet a donc entrepris un long travail d’éducation, montrant les données et comment elles pouvaient être utilisées à bon escient.

Il s’agissait de changer le narratif derrière l’Open Data. En effet, dans les pays occidentaux, parler d’Open Data revient à parler d’informations telles que le trafic, les trajets de bus et de trains, leurs retards, d’analyser les systèmes d’éclairage public, etc. pour ensuite prendre des décisions en fonction des résultats de l’analyse des données. Dans des pays africains, les données sont chargées d’implications bien plus lourdes de conséquences : à travers les données disponibles, on cherche à savoir quels éléments du gouvernement sont corrompus, pour les traduire en justice. Cependant, on pourrait analyser les données disponibles aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne et y déceler des filons de corruption : ces pays choisissent un autre angle d’approche.

Linet a donc 22 ans quand elle est désignée chef de projet pour ouvrir les données gouvernementales depuis la Banque Mondiale. Elle se voit confier un budget colossal, de 7 millions de dollars. La pression était forte. Elle mentionne plusieurs facteurs qui l’ont aidé à mener à bien ses missions. D’abord son supérieur, qui lui accordait une grande confiance et lui l’espace nécessaire pour s’épanouir. La lecture ensuite : pour évoluer à un si jeune âge auprès de personnes beaucoup plus senior que soi, Linet a lu tout ce qu’elle pouvait trouver pour s’immerger dans cet environnement et gagner en légitimité auprès de son auditoire. Après la Banque Mondiale, elle passe dans le gouvernement pour continuer son projet, pour deux ans plus tard se voir offrir une bourse pour étudier à l’Université de Carnegie Mellon en génie logiciel.  

Mettre ses compétences à son propre profit

A la sortie de cette formation, Kwamboka reçoit trois propositions d’emploi. Elle prend alors le temps de se poser les bonnes questions : pourquoi ces entreprises voulaient-elles l’embaucher ? Pour son expérience et pour ses relations au gouvernement. Elle ne connaît personne de son âge qui ait un carnet d’adresses si extensif. Elle décide de mettre ces compétences au profit de sa propre entreprise : elle crée alors DataScience Limited.

C’est une entreprise d’ingénierie informatique, qui construit des systèmes d’information pour des clients aux profils différents : gouvernements, institutions, société civile, entreprises privées. Toute personne qui a besoin d’organiser des données devient un client. DataScience Limited grossira rapidement, et le bouche-à-oreille fonctionnera si bien que l’entreprise comptera rapidement des clients prestigieux. Elle sera également la plateforme principale pour relayer les résultats des deux dernières élections. Son système n’a jamais été piraté, n’a jamais lâché.

Son style de management est assez singulier : elle insiste pour que son équipe acquière des compétences supplémentaires à chaque nouveau projet. C’est pourquoi elle propose souvent à ses clients de faire des projets annexes sans frais additionnels, pour expérimenter sur des aspects techniques qui intéressent un membre de l’équipe.

Ce dont elle est le plus fière ? Avoir construit une communauté autour de l’Open Data, avoir changé la façon dont ce sujet est abordé. Et elle compte faire bien d’autres projets intéressants dans ce domaine.

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