Nadine Otsobogo, le cinéma dans tous ses états

Nadine Otsobogo refuse les étiquettes et accumule les rôles. D’abord celui de maquilleuse, son premier métier : c’est une des figures du maquillage des peaux noires dans le monde de la mode et du cinéma. Puis celui de réalisatrice, avec des courts-métrages remarqués et récompensés plusieurs fois : l’Académie des Césars a retenu Dialemi parmi les 32 meilleurs courts métrages de 2013. Productrice aussi, avec sa propre boîte de production Djobusy. Mais le projet dont elle est le plus fière, c’est le Festival de Masuku, qu’elle a fondé en 2013 et qui accueille chaque année des réalisateurs du monde entier autour des thèmes de la nature et de l’environnement. Cette âme libre refuse de se laisser enfermer dans aucun de ces rôles et continue avec énergie de se frayer un chemin dans ce milieu difficile qu’est le cinéma.

Gabon

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De dermatologue à masseuse à maquilleuse : une obsession de la peau

J’ai grandi au Gabon, mais j’ai fait mon secondaire en France (en Normandie et en Picardie), d’abord dans un enseignement très cadré, puis dans une école de type Montessori. A 18 ans, je voulais devenir dermatologue (j’avais eu des problèmes de peau petite), mais je n’avais pas des notes suffisantes. Je me suis donc tournée vers le métier le plus proche à mon sens, qui touchait aussi à la peau : esthéticienne et masseuse. Mais j’avais 20 ans, on ne me prenait pas du tout au sérieux.

Je me suis alors tournée vers une école de maquillage. J’étais la seule noire dans la classe. Pour mes devoirs, je m’entraînais à faire des tests de maquillage sur ma mère (fond de teint, poudre, sourcils, yeux), sauf que ce qui était conseillé en cours n’allait pas du tout à ma mère, qui avait la peau noire. J’ai eu un déclic : je me suis mise à arrêter toute personne noire que je croisais dans la rue pour lui proposer de la maquiller en échange de photos. De là, je suis tombée sur des mannequins qui n’avaient pas de maquilleuse, et j’ai commencé à travailler avec des marques de cosmétiques pour les peaux noires (Fashion Fair, Mac). J’étais sur tous les défilés de mode, je maquillais toutes les peaux noires. J’ai rapidement été aguerrie au métier et aux 47 carnations de peaux noires existantes (oui oui !).

Puis j’ai eu envie d’autre chose. Par hasard, j’ai atterri dans un film produit par Mathieu Kassovitz en Guadeloupe comme make-up artiste. Là, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a proposé de travailler chez Canal+ et de fil en aiguille, j’ai intégré les réseaux de maquilleuses. Selon le caractère du personnage, son histoire, je proposais des maquillages au réalisateur, puis on me dirigeait vers le directeur artistique. J’aimais beaucoup ce métier.

Réalisation, production, organisation de festival : une touche-à-tout du cinéma

J’ai acheté ma première caméra à 30 ans. J’ai toujours aimé écrire, et c’est en discutant avec un réalisateur sur un tournage au Sénégal, et en lui racontant des histoires de mon enfance, qu’il m’a proposé de me produire. C’est comme ça que j’ai basculé dans la réalisation, avec mon premier court-métrage, Songe au Rêve.

J’ai monté ma boîte de production Djobusy Productions en 2010, pour financer mon court-métrage Dialemi, qui est sorti en 2013. C’est un conte relatant une histoire entre un sculpteur et sa muse, à huis-clos dans une cabane au bord de la mer, c’est de la poésie filmée. Il a connu un succès assez immédiat, l’Académie des Césars l’a retenu parmi les 32 meilleurs courts métrages du monde, il a reçu le Poulain de Bronze de Yennenga au Fespaco 2013. J’ai enchaîné en réalisant la série Chez Ombalo. Elle suit un homme, Ombalo, qui a quitté son travail administratif pour ouvrir un bar, et accueillir tout le quartier : la série a été nommée au festival international de cinéma Vues d’Afrique à Montréal.

Mais le projet dont je suis le plus fière, c’est le Festival de Masuku. La première édition a eu lieu en 2013, dans l’Est du Gabon. Le but est de mettre en avant des films du monde entier autour du thème de la nature et de l’environnement. J’avais envie que les gens découvrent le Gabon, et je suis fière du Festival parce qu’il permet aux africains de se rencontrer. La renommée apportée par Dialemi a permis de financer le projet, et le Festival compte déjà 7 éditions. Cette année, nous avons choisi le thème de la forêt, avec comme parrain Max Hurdebourcq, aventurier français qui a vécu pendant 8 ans dans la forêt avec les gorilles.

Exiger de pouvoir vivre de ses deux passions

Mes deux mondes, réalisation et maquillage, ne se sont jamais croisés : selon le pays, j’étais connue en tant que maquilleuse ou en tant que réalisatrice. Je préfère que ce soit comme ça : je ne veux pas être catégorisée, j’ai envie de pouvoir maquiller quand je veux, filmer quand je veux. Et surtout, dès l’instant où l’on bascule réellement dans la réalisation, nos aînés deviennent nos collègues, et toute personne qui aurait pu m’apprendre des choses ne se sentira plus la légitimité de le faire.

Dès l’instant où j’ai commencé le cinéma, j’ai eu le projet d’ouvrir une école où donner des cours de cinéma, de danse et de maquillage. C’était ma projection à 15 ans. Pour la suite, je vais me concentrer sur le festival et sur mon premier long-métrage.

Les recommandations de Nadine

Le Camp de Thiaroye de Sembene Ousmane, sur la tragique histoire des tirailleurs sénégalais. Le film a été interdit longtemps en France, ça m’a marquée.

« La Noire de… » de Sembene Ousmane également.

Tous les films de Djibril Diop Mambety.

Sankofa, de Haile Gerima (Ethiopie).

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