Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor
Odile Renaud-Basso est la première femme à la tête de la direction générale du Trésor, sans aucun doute l’un des postes les plus prestigieux de Bercy. À la Cour des Comptes, puis à la Commission européenne, en passant par la Caisse des Dépôts et des Consignations et même par Matignon (en tant que directrice adjointe du cabinet du premier ministre), Odile Renaud-Basso est devenue une figure incontournable de l’administration française et européenne. Aujourd’hui candidate pour la présidence de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), elle pourrait potentiellement devenir la première femme à occuper ce poste d’ici quelques jours. Elle se confie ici sur son parcours hors-normes.
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La richesse d’une carrière non linéaire
Issue d’une famille nombreuse de quatre enfants, j’ai reçu une éducation ouverte avec des parents très égalitaires dans la répartition des tâches. Mon père travaillait dans l’aide au développement et ma mère était professeure. J’ai passé une partie de mon enfance en Algérie avant de poursuivre ma scolarité en France. Après mon baccalauréat, je ne savais pas trop ce que je voulais faire. J’aimais les lettres et j’ai donc fait une classe préparatoire littéraire. Assez vite, je me suis rendue compte que je voulais travailler dans quelque chose de concret et avoir un impact sur la société. J’ai d’abord songé à faire médecine, puis j’ai finalement intégré Sciences Po. J’ai complété ma formation avec l’ENA que je considérais comme un point d’entrée dans l’administration publique. J’ai débuté ma carrière à la Cour des Comptes, un choix guidé par la liberté de carrière que me procurait ce poste. En effet, il s’agit d’une institution très formatrice dans laquelle il est plutôt simple de partir et de revenir. Avec la Cour des Comptes comme port d’attache, je pouvais envisager plus sereinement mon envie de famille.
Je n’ai jamais eu de plan de carrière. Ma carrière s’est construite sur une succession de hasards et de rencontres, sans prédétermination. Il s’agissait plutôt de choisir mes postes au gré des sujets qui m’intriguaient. Après la Cour des Comptes, je souhaitais travailler de façon plus collective et c’est pourquoi j’ai décidé de rejoindre la Direction du Trésor. J’ai d’abord travaillé autour de l’aide au développement en Afrique et plus particulièrement sur la dévaluation du franc CFA. Suite à quoi, je suis devenue secrétaire générale du Club de Paris. En coopération avec les 27 pays membres, je travaillais à la définition d’une approche commune pour rééchelonner les dettes des pays en difficulté financière. Les postes se sont ensuite enchaînés au sein du Trésor : cheffe du bureau du financement des PME, sous-directrice en charge des affaires européennes, et multilatérales, cheffe du service du financement de l’économie puis cheffe du service des affaires multilatérales et du développement.
En 2005, j’ai quitté Paris pour m’installer à Bruxelles et rejoindre la Commission Européenne. En tant que directrice des affaires économiques et financières, j’ai préparé et suivi les négociations sur les questions monétaires et financières. J’ai notamment géré la crise financière de 2008-2009. Lors des deux années suivantes, j’ai épaulé Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, en particulier dans la gestion de la crise de la zone euro. Après sept ans à Bruxelles, je suis rentrée en France pour devenir directrice adjointe de cabinet du premier ministre Jean-Marc Ayrault pendant une année.
Après cette année, j’ai décliné le poste de directrice générale du Trésor. Ce n’était pas le moment. Mes enfants avaient pâti du déménagement et de mon fort engagement à Matignon et j’avais besoin de temps pour m’en occuper. J’ai donc préféré choisir le poste de directrice générale adjointe de la Caisse des Dépôts et Consignations. J’ai gagné en expérience sur le plan opérationnel, j’étais davantage dans l’action avec des projets de financement très tangibles. Au-delà du fait que cet emploi m’offrait un meilleur équilibre de vie, je pense qu’il est très enrichissant de varier ses emplois et les institutions pour lesquelles on travaille. Changer d’horizon est toujours positif. Je ne me serais jamais imaginée faire 20 ans dans la même institution. J’ai été confortée dans mon choix quand près de trois ans plus tard, j’ai de nouveau eu l’opportunité de devenir directrice générale du Trésor. Je suis aujourd’hui la première femme à occuper ce poste.
En définitive, ma carrière est certainement bien moins linéaire que la norme. J’ai pris mon temps, j’ai parfois fait des « pas de côté ». Ma préoccupation n’a jamais été de gravir les échelons au plus vite. J’ai plutôt alterné mes postes selon leur degré d’exigence et de disponibilité en fonction de mes impératifs personnels, sans pour autant mettre ma carrière entre parenthèses.
Aujourd’hui, je suis candidate pour prendre la présidence de la Banque Européenne de Développement et de Reconstruction (Berd). Je serais potentiellement la première femme à présider cette institution.
En quoi le fait d’être femme a-t-il joué dans votre parcours ?
Il y avait très peu de femmes dans la hiérarchie et lorsqu’elles étaient présentes, elles étaient généralement sans enfants. J’ai rarement eu autour de moi des modèles de femmes qui réussissaient à allier vie professionnelle et familiale. J’ai d’ailleurs moi-même souvent réfléchi à prendre de nouvelles responsabilités. Quand j’ai pris mon poste sur les questions européennes, je venais d’avoir mon troisième enfant. Le poste nécessitait de passer près de deux jours par semaine à l’étranger et j’ai beaucoup hésité. Heureusement, j’ai eu la chance d’avoir une hiérarchie très compréhensive et rassurante qui croyait en moi. J’ai pu prendre mes journées du mercredi quand cela était possible. Cette flexibilité était très novatrice à l’époque, d’autant plus que nous étions moins équipés de moyens de travail dématérialisés.
Pour allier vie professionnelle et familiale, il n’y a pas vraiment de secret. C’est avant tout beaucoup d’organisation au jour le jour : dans son travail et dans sa vie de famille. Au travail, je pense qu’il ne faut pas chercher à tout contrôler. Il faut accepter de déléguer et faire confiance à ses collaborateurs. Ne pas hésiter aussi à mentionner ses impératifs. J’ai la sensation qu’aujourd’hui la vie personnelle est mieux prise en compte. Au Trésor, nous avons désormais une charte du temps. Un rééquilibrage s’est fait dans les attentes professionnelles. Et c’est aussi facilité par le développement des nouvelles technologies. Il y a plusieurs années, j’ai eu des soirées où je devais rester au bureau jusqu’à des heures très tardives pour signer un accord. Aujourd’hui, c’est possible de le faire à distance. Sur le plan familial, j’ai toujours eu quelqu’un chez moi pour gérer les imprévus. Un bon équilibre avec son conjoint, c’est très important également. Et restez zen !
Bien sûr, j’ai souvent ressenti de la culpabilité. Ma génération est plutôt celles des femmes qui se mettent en disponibilité ou prennent des temps partiels à l’arrivée de leurs enfants. Un jour, quand ma fille avait 5 ans, elle m’a dit qu’elle préférerait avoir la même maman que son ami car elle était toujours présente. Ce n’est jamais un choix facile et je me suis souvent questionnée. Il y avait une vraie pression sociale mais je pense que cela a beaucoup changé aujourd’hui. Avec du recul, je ne pense pas que cela ait porté préjudice à mes enfants. C’est un mode de vie auquel on s’habitue et j’ai toujours mis l’accent sur la qualité des moments passés avec mes enfants. Au-delà des impératifs familiaux, je pense queles femmes ont plus tendance à se sous-évaluer. Et je le remarque particulièrement en tant que manager : les hommes hésitent bien moins à candidater au poste supérieur. Les femmes, on doit aller les chercher. Évidemment, ce n’est pas systématiquement vrai mais c’est tout de même notable. Personnellement, j’ai souvent eu l’impression que je ne saurais pas faire. Et pourtant, j’ai énormément appris sur le tas. Je n’avais pas un bagage très approfondi en économie mais j’ai appris et je continue d’apprendre aujourd’hui. Le plus important est de croire en soi et ne pas se sous-estimer !